"L'autre monde" de Théodore Rondot

Publié le par Jules Bourgoin

L'autre monde





     Étais-ce un cauchemar ? Il m’est difficile de le dire. J’étais allongé dans mon lit, je crois que je ne dormais pas. D’ailleurs en ce moment, je n’avais pas le sommeil tranquille. Chaque nuit, j’étais victime d’une nouvelle crise d’angoisse ; Chacune de ces nuits même étaient hantées par des rêves effrayants et si étranges qu’il m’était impossible de mettre un nom, une définition à ce que je voyais. Cela avait commencé juste quelques semaines après la disparition de ma fiancée. Le moment de ma vie où j’avais connu le pire.

 

     En cette froide nuit d’hiver, je tentai donc vainement de m’endormir, mais l’orage et ; les craquements du plancher n’arrangeaient pas les choses. Et puis il y avait ce sentiment.  Un sentiment inexplicable, un sentiment de peur caché au fond de mon âme, qui me donnait l’impression d’être observé . . .

 

     Comme si ma crainte se réalisait, j’aperçus quelque chose bouger près de mon lit, que je distinguais assez mal.  J’allumai immédiatement la lampe. Rien. Encore une hallucination…

Tout de même intrigué, je n’éteignis pas la lampe et fermai tranquillement les yeux, avant de sombrer aussitôt dans un profond sommeil. Je l’ignorai encore, mais ma vie allait basculer…

 

     Je me réveillai après un temps indéterminé. Il faisait sûrement encore nuit. Je me sentai toujours observé, comme sil il y avait vraiment une présence, là, tout près. C’est alors que je la vie : cette silhouette féminine, au seuil de ma chambre, dans l’ombre. Dès que je le remarquai, elle dut s’en apercevoir et s’enfuit. Sans réfléchir, je la poursuivis dans le couloir, et mis quelques secondes à la retrouver, silencieuse et immobile devant la salle de bains. M’approchant doucement, l’évidence me sauta aux yeux : c’était une femme adulte. Puis brusquement, elle s’illumina. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Une lumière radieuse et aveuglante, magique et douce, jaillit d’elle, sans que je compris comment. Cette femme – que je voyais à présent distinctement-, était la beauté à l’état pur. Ses magnifiques cheveux en cascade d’une couleur indéfinissable et ce visage qu’on aurait dit créé à l’image de dieu lui-même, me firent bizarrement un nœud à l’estomac. On aurait dit, on aurait dit… Anya !

 

     Je crus tomber à la renverse. C’était ma fiancée, ou sa copie parfaite, là devant moi ! Rêvais-je ? je m’en fichais. Ce qui m’importait, c’était de la voir, de pouvoir la prendre dans mes bras. Mais quelque chose avait changé, et je n’aurai su dire quoi. On aurait dit un ange, mais pas comme ceux des églises. Elle semblait lointaine et fragile, en quelque sorte. La joie et la curiosité m’envahissaient.

Puis cela se produisit…

 

     L’ouverture, un passage à coté d’elle. Un miroir que j’aurai cru fait de  cristal, déformé et en mouvement constant. C’était incompréhensible, et je n’osais faire aucun pas, ne prononcer le moindre mot. A mon soulagement, Anya me murmura :

 

     - Viens …

 

     Presque tenté, je prenais cependant sa main. Le « miroir » me fit frissonner, me donnant l’impression de pénétrer  dans un bain gelé. Je ne gardai aucun souvenir de la traversée, longue fut elle.

     Et nous arrivâmes dans ce monde, qui lui resterait gravé à jamais dans m conscience. D’abord c’était la nature, le monde sauvage. Sans le moindre élément moderne, et un air pur. Une nature merveilleuse et luxuriante.  Devant moi s’étendait une forêt, où se mêlaient des arbres de différentes formes, des plantes  et beaucoup d’autres petites « choses ». Certains bordaient une rivière couleur diamant, par delà laquelle s’étendaient de belles  étendues de fleurs, puis une mer paisible. Je voyais des humains, qui allaient et venaient, beaux mais tous complètement différents. Certains étaient nus, d’autres pas, certains comme ma fiancée, dégageaient une intense lumière. Mais le plus surprenant, ce fus lorsque je scrutai le ciel … et que je ne vis aucun soleil nulle part ! Il changeait aussi de couleur, tantôt   rouge feu, tantôt or … c’était magnifique ; comme si l’on avait fait un diaporama des plus belles couleurs qui soient. L’ensemble du paysage prenait plusieurs teintes, bleutée, puis orangée …

 

     J’étais fasciné ; pas seulement par cette beauté, mais par toutes les choses que je voyais, comme ces êtres, ces visages, inqualifiables, à demi-humains, à demi-minéraux, à la fois grimaçants et angéliques, ou encore des choses que j’avais l’impression de voir, comme des petites créatures qui me toisaient. Certaines semblaient s’occuper de la nature. Tout était en harmonie.

Mais le rêve prit fin. Car sans que je puisse faire quoi que ce soit, ma fiancée me lâcha la main, et recula en se tournant vers moi. Et après m’avoir souri une dernière fois, le visage triste, son corps s’évapora, s’évapora en une poussière fine comme le sable, mais ce n’en était pas.

Et je perdis connaissance.

 

     Puis je me retrouvai dans mon lit. La nuit était passée. Mon mal aussi, inexplicablement. Et depuis lors, je recommençai à vivre. J’avais le sentiment que c’était grâce à mon expérience nocturne, et rêve ou pas, je l’avais vue, mon amour qui depuis semble murmurer dans l’air : «  je t’aime ».





de Théodore Rondot

Publié dans Rédactions

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